lundi 4 décembre 2006

Mobiles

Claude est un sentimental. Son intelligence est affective. Dès l'enfance, sa sensibilité à fleur de peau et sa faculté de compassion l'opposaient à son frère, une tête mieux faite mais dure, un esprit libre et sans concession. Durant l'adolescence Claude souffrit de voir son frère s'émanciper, s'enhardir, se rebeller, s'affirmer contre leurs parents parfois. Car Claude est un sentimental, un affectif, un obéissant et un anxieux. Lorsque son frère s'est mis à fumer, Claude a bien essayé de l'en empêcher. Il lui a fait la morale, lui a présenté les risques, l'a harcelé même. Mais rien n'y fit et son frère n'en a fait qu'à sa tête.
Alors Claude s'est mis à le haïr ce frère qui avait plus de succès que lui auprès des femmes, qui semblait plus heureux que lui dans la vie, ce jouisseur qui se moquait éperduement de sa mine renfrognée et de ses appels à l'hygiène et à la moralité. Aussi quand son frère est mort d'un cancer, ce fut pour Claude l'immense douleur d'un être aimant et sentimental, mais doublée de la satisfaction inavouable de voir puni par la mort le comportement libre et indomptable de ce frère tant aimé. Et cette satisfaction glauque que connaissent les personnalités bâties sur le ressentiment s'est peu à peu transformée en impérieux devoir: Interdire cette fumée qui n'avait pas obéi à ses suppliques et que son admirable frère lui avait préféré. C'est fait.

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